Les portes du néant de Samar Yazbek
C'est dans "La grande Librairie" que j'ai découvert le visage de cette femme. Emue par ses paroles, j'avais décidé de lire son livre. Depuis l'enfance, j'aime comprendre, découvrir. Cette guerre se déroule à des milliers de kilomètres comme si elle ne nous concernait pas. Et pourtant...
Samara Yazbek fait partie du clan Alaouites de Bachar al-Assad. Lors du printemps arabe, comme beaucoup d'autres, elle rêve de changement. Elle prend part aux manifestations pacifisteset se retrouve en prison. C'est contre son gré, qu'elle décide de s'enfuir avec sa fille et de vivre en exil en France.
La force qui la pousse à témoigner ne la quitte pas et elle décide de revenir en Syrie, pour revoir son pays, aider des femmes. Elle va franchir la première porte en 2012 et c'est un pays méconnaissable qu'elle retrouve. Bachar el-Assad après la révolte a décidé de punir son peuple et déverse sa colère.
Samara Yazbek est accueillie dans une famille où elle découvre le courage des femmes qui doivent à présent vivre dans des maisons éventrés, trouver de la nourriture. Elle écoute les hommes qui font partie des rebelles syriens et qui tentent de combattre avec le peu de moyens qu'ils possèdent.
La deuxième porte à peine franchie, en 2013, elle réalise que de nouvelles silhouettes se dessinent à l'horizon de la Syrie, les partisans de l'El, et d'autres tout aussi sectaires. La famille qui l'avait accueillie est partie en sécurite à Antioche, femme et enfant.
La Syrie est encore plus dévastée qu'auparavant, l'armée syrienne continue de tuer les civils. Samara Yazbek croise des femmes et des enfants qui sont dans un dénuement total.
Les rebelles sont à présent face à des soldats qui veulent rétablir la charia dans toute la Syrie. Certains populations sont tombés dans leurs bras n'ayant plus que cette solution pour survivre.
Des enfants sont laissés à l'abandon vendant de l'essence au bord de la route, d'autres ont perdu des membres. Ils vivent en bande, seuls dans cette guerre.
La troisième porte est celle de l'enfer, à six mois d'intervalle. Il faut se méfier de tout le monde surtout de l'Etat Islamique qui en fait n'est pas constitué de Syriens mais de musulmans d'autres pays. Le peuple syrien doit se protéger des barils lancés par les soldats syriens mais également obéir aux ordres d'hommes qui ne sont même pas leurs compatriotes.
Durant ce séjour, un journaliste va être enlevé qui accompagnait Samara Yazbek lors des combats.
Tout est détruit. La Syrie, quelle Syrie ? Celle qu'elle a connu n'existe plus. Les femmes n'ont plus aucun droit dans certaines régions. Les jeunes veulent combattre mais pas avec les rebelles, non ils rejoignent les djihadistes.
Et ces enfants estropiés à vie...
Au milieu de cet enfer, certains continuent à combattre pour libérer la Syrie car c'est leur patrie et ils y croient. D'autres tentent de continuer une classe avec un bus. Une goutte d'eau mais une goutte d'eau parfois peut libérer la pensée.
Des filles à peine pubères sont vendues par leur famille à de vieux hommes car ils n'ont plus rien. La Syrie de Samar Yazbek s'envole petit à petit dans les fumées d'une guerre que l'Occident regarde d'un air apitoyé bien à l'abri.
Quand elle referme cette troisième porte Samar Yazbek comprend qu'elle n'aura peut être plus l'opportunité de revenir. Elle est en exil.
Ecrire pour qu'on n'oublie pas ces hommes et ces femmes qui rêvent de libérer leur pays, écrire pour témoigner. Tout de suite non, elle n'en a pas le courage. Ensuite les mots s'accrocheront au papier.
"L'impossibilité de rester m'arrachait avec violence à mon rêve d'un retour. il me fallait accepter une bonne fois pour toutes que je partais en exil, que je quittais une terre vouée à la dévastation, souillée par les secrets et les complots, saccagées par les tafkiris. Les terres que les Syriens avaient libérées au prix de leur sang, les villes et village du nord, se retrouvaient occupés de nouveau. Ils n'étaient plus même syriens. Nos rêves de révolution avaient été détournés. Les grandes puissances livraient leurs propres batailles dans mon pays, déplaçant les bataillons comme des pions, finançant et approvisionnant des fronts inexistants. La frontière turque était une grande passoire par laquelle transitait armes et combattants de toutes origines"
Par ces mots, Samar Yazbek nous fait comprendre à quel point son pays était culturellement important, que l'hospitalité était une priorité, que le peuple aurait tant voulu enfin vivre dans une démocratie. Il ne reste rien à part dans le fief de Bachar.
Et nous n'avons rien fait, aucune révolte de notre part dans nos pays tellement civilisés. C'est si loin et puis après tout ce sont leurs problèmes...
Où a disparu notre part d'humanité ?
Oui certains livres changent la vie....