Dimanche 21 novembre 1925 Plus de goût à vivre
Dimanche 21 novembre 1925
Plus de goût à vivre qu'à écrire. Passion de la vie, de ma vie, si petite en apparence. Je passe ici, sur ces collines, de longues heures d'immobilité et de silence et d'infini bonheur, un bonheur lent et rare dont personne ne voudrait à présent et qui donne à ma vie un charme unique. Est-ce pour cela que j'aime infiiniment E. de Guérin ? Mais je n'ai plus l'intrépidité d'autrefois à saisir ma plume pour saisir d'une pointe avide et acérée les minutes qui passent. Est-ce que j'approche de la sagesse ? Il m'est doux de les laisser passer sans les accrocher par des mots si vains. Pourtant il en est qui enchantent. Mais ceux-ci n'enchantent que moi.
Depuis des jours, je viens sur ces collines. J'ai suivi pas à pas l'automne, la mort des feuilles et leur transfiguration magique. Mais je n'ai jamais eu le courage de refroidir tout cela sous ma plume. J'en ai vécu, tout simplement.
Ce soir, c'est dimanche. Les cloches ont sonné à la cathédrale, au Carmel, et j'ai songé aux jours d'autrefois, aux jours de ma petite enfance quand j'allais aux vêpres pour mon plaisir, pour me distraire, comme, en ces jours, les gens vont au cinéma. J'en ai gardé un goût incurable pour les splendides cérémonies, les décors somptueux, le latin sonore et le mystère. Je n'en guérirai jamais. J'ai pris là l'amour d'une certaine beauté qui ne me quittera plus. Ce que j'ai traversé après m'a toujours paru pauvre et de petite qualité. Aussi ai-je beaucoup aimé dimanche passé la grand'messe solennelle, à la cathédrale, en l'honneur de St-Martin. Monseigneur a une voix magnifique. Il détonne, mais sa voix reste belle. Je l'endends encore dans la Préface : Sursum Corda, et je vois ses mains levées, pleines de noblesse et de majesté. Que les acteurs sont mesquins à côté. Aucun théatre n'atteint cette perfection.
Devant moi, un paysan bêche une langue de terre sur la colline. C'est même son coup de bêche dans la terre qui m'a fait prendre la plume. J'ai voulu accorder nos deux rythmes.
Louisa Paulin, journal