La petite maison
Sur le versant de la montagne,
A mi-hauteur, on aperçoit
Une petite maison toute seule.
D'ici, elle semble accrochée
A un pan de muraille nue,
Et le soir, on voit sa lumière
Agoniser sous le poids de la nuit.
- Ah ! comment peut-on vivre là ?
T'exclames-tu en frissonnant.
Moi, je ne connais pas l'endroit
Mais je sais bien que la montagne
N'a pas, pour qui gravit ses pentes,
Ce visage fermé qu'on voit de loin.
Moi, je sais bien qu'elle est vêtue
De fenouil, de myrte et de menthe,
De romarin, de lavande et de thym ;
Et que sa cime se recule
A mesure qu'on va vers elle
Et que son flanc parfois se creuse
Offrant un sûr et calme asile.
Je sais qu'il y a un mûrier,
Des amandiers, des pins, des chênes,
Un tapis d'herbe et deux chevrettes
Derrière la petite maison.
Et devant elle, une terrasse
Avec son banc et sa table de pierre
Où des gens, après leur travail,
Dans l'air doré du crépuscule,
Boivent frais le vin de leur vigne
Charles Vildrac
- Promenade d'une demi-heure au jardin par une
- Promenade d'une demi-heure au jardin par une fine pluie. - Paysage d'automne. Ciel tendu de gris et plissé de diverses nuances, brouillard traînant sur les montagnes à l'horizon; nature mélancolique, les feuilles tombaient de tout côté comme les dernières illusions de la jeunesse sous les larmes de chagrins incurables - nichée d'oiseaux babillards s'effarouchant dans les bosquets et s'ébattant sous les branchages comme des écoliers entassés et cachés dans quelque pavillon - le sol jonché de feuilles brunes, jaunes et rougeâtres - les arbres à demi dépouillés, les uns plus, les autres moins, fripés de roux, de citron, d'amarante (ordre de dépouillement: catalpa, mûrier, acacia, platane, tilleul, ormeau, lilas) - les massifs et buissons rougissants - quelques fleurs encore: roses, béquettes, capucine, dahlias rouges, blancs, jaunes, panachés, égouttant leurs pétales, des pétunias flétris, des mesembryanthemum au riche incarnat et dont le feuillage en couronne éclipse par sa teinte les fleurs mignonnettes, mauves roses, téraspics lilas -maïs desséchés, champs nus, haies appauvries. - Le sapin, seul vigoureux, vert, stoïque au milieu de cette phtisie universelle; éternelle jeunesse bravant le déclin. Tous ces innombrables et merveilleux symboles que les formes, les couleurs, les végétaux, les êtres vivants, la terre et le ciel fournissent à toute heure à l'oeil qui sait les voir, m'apparaissent charmants et saisissants. J'avais la baguette poétique et n'avais qu'à toucher un phénomène pour qu'il me racontât sa signification morale. J'avais aussi la curiosité scientifique, j'enregistrais et questionnais; pourquoi le rouge domine? ce qui fait durer inégalement les feuilles? etc.
Henri Frédéric Amiel