Les cercueils de zinc de Svetlana Alexievitch
Ils sont partis là bas, de leur plein gré ou forcés, femmes et hommes d'à peine vingt ans. On leur a dit qu'ils allaient bâtir le socialisme en Afghanistan. Mais la vérité était toute autre.
En URSS, le peuple les admirait car ils y plantaient des pommiers, aidaient la population. Au lieu de pommiers, ils tuaient des femmes et des enfants dans leur habitation, envoyaient des grenades. Ils voyaient leurs camarades éclater devant eux. Ils voyaient la haine dans les yeux de ceux qu'ils étaient venus aider selon leurs dirigeants. Ils volaient, recevaient des coups, se droguaient pour supporter l'horreur.
En URSS, peu à peu on a compris ce qu'ils faisaient là bas et c'est le mépris qui les accueillis lors de leur retour. Les femmes n'étaient que des prostituées, les hommes des assassins.
Ils sont revenus entourés de honte. Certains à moitié fous, d'autres sans jambes, et beaucoup dans un cercueil de zinc.
L'armée prévenait la famille qu'elle pouvait venir chercher ledit cercueil, ensuite débrouiller vous.
On leur avait promis les honneurs, ils n'eurent que des os à ronger. Ils avaient à peine vingt ans dans cette dernière guerre entre le bloc de l'est et le bloc de l'ouest.
Svletana Alexievitch est allée interroger les mères, les veuves, les soldats encore vivants. Témoignages accablants d'une idéologie mensongère.
Lors de la parution d'extraits de ces interviews, certains de ceux qui avaient témoignés ont porté plainte contre l'auteur. Selon eux, elle avait déformé leurs propros qui a entrainé un procès.
"J'ai compris qu'on n'avais pas besoin de nous ici. Pas besoin de notre expérience. C'est de trop, ça gêne. Nous aussi nous sommes de trop, nous gênons"
"On nous traite d'occupants. Qu'avons nous pris là bas , qu'en avons-nous rapporté ? Le fret"deux cents", les cercueils avec nos camarades ? Qu'avons-nous acquis ? Des maladies, depuis l'hépatite jusqu'au choléra, des blessures, des infirmités ? Je n'ai pas à me repentir. J'ai le peule frère afghan. J'en suis pérsuadé !"
"A l'école de cuisine où je travaille nous sommes cent. Je suis la seule à avoir perdu mon mari à la guerre, une guerre que les autres ne connaissent que par le journaux. Quand j'ai entendu pour la première fois la télévision expliquer que l'Afghanistan était une guerre honteuse, j'ai failli casser le poste. Ce jour là, j'ai enterré mon mari pour la deuxième fois"
"Le plus terrible c'est que nous sommes partis d'un Etat qui avait besoin de cette guerre, et nous revenons dans un Etat qui n'en a plus besoin. Ce qui nous blesse, ce n'est pas qu'on nous refuse tel ou tel avantage, pas du tout. C'est le fait d'avoir été tout simplement effacés"
"Je me réveille en pleine nuit et je mets du temps à réaliser si je suis ici ou là-bas. Qu a dit que les fous n'étaient que des effarés ? Je vis comme si j'étais un observateur extérieur...J'ai une femme, un enfant...Autrefois, j'aimais les pigeons...J'aimais les matins...Maintenant, je suis comme un observateur étranger...Je donnerais n'importe quoi pour retrouver ma joie de vivre"
Les Russes ont occupés l'Afghanistan de 1979 à 1989. On estime les pertes humaines dans l'armée à environ 15 000.
Plus d'un million de civils afghans furent tués durant cette guerre.