un Vrai temps d'automne,
J'ai terminé le nouveau roman de Sylvie Germain.
Immortelles de Laure Adler
Judith, Florence et Suzanne. Trois prénoms qui chantent. Elles furent les amies de la narratrice qui nous raconte leur vie.
Trois petites filles en manque de père qui ont essayé de se construire de manière différente.
"Toutes trois ont souffert de l'absence de père. Toutes trois n'ont pas vraiment compris qu'elles étaient des filles et ont découvert tardivement leur féminité. Toutes trois, sans le savoir, ont eu peur de leur force, de leur énergie."
Florence grandit entre sa soeur et sa mère. Son père travaille la plupart du temps à l'étranger. Une mère qui n'en est pas une et qui sombre peu à peu au fil du temps dans la folie.Florence et ses fugues, Florence et les drogues.
"Phèdre l'avait sauvée. Elle reprenait confiance. Elle ressentait cette langue, jugée parfois précieuse, et lointaine, comme naturelle, proche d'elle même, sinon protectrice. Elle savait comment s'y ébrouer et y trouvait une manière de respirer. Elle prit appui sur ce plaisir intense, cette jouissance inconnue d'elle, pour sauter, ainsi qu'à la marelle lorsqu'on atteint le paradis, tous les autres obstacles, devenus tout à coup dérisoires à ses yeux"
Suzanne vit chez sa grand-mère, mère absente, père inconnu. Sa mère infirmière à l'étranger toujours à la recherche du médecin avec lequel elle a eu une aventure. Mais il faut tourner la page et la mère revient prendre possession de Suzanne. Cohabitation toujours pas évidente d'autant que la mère repart encore une fois.
"C'est moi qui l'ai abordée. Je n'en menais pas large, mais j'étais si désireurse de connaître le nom de l'auteur et le titre du livre qui la captivait tant, que j'ai réussi à briser ce cercle qu'elle fermait autour d'elle. Elle a levé les yeux tout doucement. Elle avait les yeux bleus très foncés, de longs cils et des sourcils brousailleux qu'elle n'avait jamais dû épiler. D'une voie enrouée et grave, elle m'a dit : Je lis les Nourritures terrestres d'André Gide, tu connais"
Judith est l'enfant de juifs qui ont n'ont pas voulu subir le nazime en Pologne pour se retrouver en Argentine. Des parents qui suivent les préceptes de leur religion. Et un jour elle se retrouve en France d'où ses parents avaient déja fuis. La boucle est bouclée.
"Un livre peut changer l'orientation d'une existence. C'est ce qui est arrivé à Judith à la lecture des Tristes Tropiques"
La narratrice nous entraine sur le chemin de la vie de ses amies. Chacune va s'évader dans d'étranges méandres pour se sentir libre et enfin grandir. Comment devient on heureuse ?
Très touchée par ce livre car oh combien certaines amitiés féminines de jeunesse ont construit notre propre vie. Arrivée à un certain âge, parfois on y repense aux sourires de ces amies qui ont disparu de notre regard. Que sont-elles devenues ? Souvenirs chéris des instants passés en leur compagnie comme un brin de nostalgie.
L'amitié féminine est indissociable de nous les femmes. Laure Adler l'écrit avec une telle tendresse sans oublier au bout de sa plume, le féminisme qui pointe.
Très très beau roman
Kinderzimmer de Valentine Goby
Tu n’y es pas ! Etre vivant, elle dit, c’est se lever, se nourrir, se laver, laver sa gamelle, c’est faire les gestes qui préservent, et puis pleurer l’absence, la coudre à sa propre existence. Me parle pas de boulangerie, de robe, de baisers, de musique ! Vivre c’est ne pas devancer la mort, se tenir debout dans l’intervalle mince entre le jour et la nuit, et, personne ne sait quand elle viendra. Le travail d’humain est le même partout, à Paris, à Cracovie, à Tombouctou, depuis la nuit des temps, et jusqu’à Ravensbruck. Il n’y a pas de différence.
Suzanne a été donnée, elle la résistante. Embarquée dans un train avec sa cousine Lisette, elle ne sait pas quelle est leur destination. Elle ne s’appelle plus Suzanne mais Mila. Mila sait qu’elle est enceinte dès le départ.
Comment pourrait-elle savoir que ce camp où elles débarquent porte le nom de Ravensbruck.
Les françaises sont toutes logées dans le même baraquement. Elles porteront l’étoile rouge, celle des déportées politiques.
Ici c’est l’enfer sur terre, coups, cris, faim, froid, au fil des mois les femmes se transforment en des êtres cadavériques qui marchent sur des jambes qui ne ressemblent plus qu’à des bout de bois, couvertes de pustules.
Il ne faut pas qu’on sache qu’elle est enceinte, surtout pas. On ne sait pas ce que deviennent les femmes enceintes et leurs bébés. Avant, on les tuait alors surtout se taire.
Les seuls enfants du camp ressemblent à des vieillards dont la tête est trop grosse mais ce sont déjà des enfants.
Lors de la première consultation gynécologique, elle nie quand le médecin déclare qu’elle attend famille. Nein, Nein. Il la laisse repartir.
Comment arrive t-il à grandir dans son ventre avec le peu de nourriture qu’elle absorbe.
Lisette, sa soeur, sa cousine meurt. A quoi bon vivre, se laisser aller est tellement plus simple.
Teresa, la polonaise, va lui insuffler l’énergie, la secouer. Mila doit vivre, pour elle, pour le bébé et pour toutes les autres.
Mila se jette un défi. Elle va brouter l’herbe et si le chien ne la mord pas. Oui elle décide que le bébé, que sa vie, vaut la peine.
Le chien ne la mord pas.
Perte des eaux, conduite à l’infirmerie où l’infirmière lui interdit de crier lors de l’accouchement pour ne pas déranger le docteur. Petit être contre sa peau, couvert de sang. Elle le lave avec un peu de café.
Mon bébé, Mon James où est-il ?
Stupéfaction ! Kinderzimmer, il existe une kinderzimmer dans le camp et James n’est pas unique.
On ne peut pas pénétrer dans la Kinderzimmer. Sabine en interdit la porte. Les mères doivent allaiter dans une autre salle. Silencieuses, elles viennent chacune à leur tour.
Mila se faufile, elle découvre des bébés couchés par rang. Certains ressemblent à de petites vieilleries. Sabine lui avoue que les bébés ne vivent que trois mois. Impossible de les nourrir. Quand l’un d’entre eux meurt, sa ration est donnée immédiatement aux survivants qui ont encore l’espoir de vivre.
James son James doit vivre. Plus de lait qui coule des seins. C’est une mère russe qui a perdu son bébé qui va nourrir James. Mila assiste à chaque tetée.
Entre prisonnières, c’est une entraide pour que James puisse vivre. Vol de tissu, un peu de pain, du charbon pour chauffer la Kinderzimmer. Mais James, son James n’a plus la force.
Alors ce sera Sacha. Mila il faut que tu les prennes celui là, sa mère est morte. James n’est plus mais Sacha lui ne demande qu’à grandir....
Mila et Sacha-James, elle se battra pour lui, pour toutes les autres, pour la vie.
Mais Lisette est morte.
Georgette est morte.
Violette est morte.
La mère de Louise est morte.
James est mort.
Marianne est morte.
Cili est morte.
La mère de Sacha est morte.
Les juives hongroises de la tente ont disparu.
Adèle meurt, et toutes celles qui n’ont pas de nom : l’Allemagne n’aura jamais perdu.
Qu’est-ce que ça veut dire, gagner ou perdre ?
Térésé répondrait : tu perds seulement quand tu abandonnes.
Si vous vous décidez à ouvrir les pages de ce livre, préparer vous à un choc. Vous ne serez pas épargné par les cris, la peur en un seul mot l’horreur.
Magnifique roman qui dépouille les humains de leur physique tout en ne réussissant pas à fondre leur pensée. Un hymne à la vie, à la survie.
La Kinderzimmer a bel et bien existé à Ravensbruck à la fin de la guerre. Pourquoi les nazis décidaient-ils de laisser vivre les bébés tout en sachant qu’ils étaient de toute façon condamnés par la faim et la diarrhée ? Impossible à comprendre. On peut compter sur les doigts d’une main, ceux qui survécurent
Un roman inoubliable.