Ce dimanche,Verlaine m'accompagnera sur les chemins de son pays.
L’endroit où demeurait ma tante est à trois lieues de Bouillon, un tout petit chef-lieu de canton, Paliseul...
Un joli site haut perché, plein de jardins qui corrigent l’âpreté un peu des toits trop uniformément en ardoises... Bon Dieu ! Que j’y ai joué, dans le clos de ma tante, et couru et gambadé, et lutté, principalement avec un gamin de mon âge, un futur séminariste, aujourd’hui curé dans les environs, un fin lettré, un digne homme, que je regrette bien que la vie, bête et dure, ne me permette de revoir peut-être jamais. Bon Dieu, que je me le rappelle donc dans tous ses détails, ce joli village où j’arrivais quand septembre venait, grandi de quelques centimètres, puis d’un, puis d’un demi, puis quelques poils frisant au menton, jusqu’à ce qu’un jour je fusse barbu et esquissant une calvitie aujourd’hui outrageante, croissance jusqu’au bout, constatée annuellement par un cran au couteau sur l’un des poteaux de la grange. O la grange parfumée des foins d’il y avait deux ou trois mois, et de la bonne odeur de l’étable où ruminaient et mugissaient de belles vaches donneuses de quel lait !
Ma tante, sévère et toute bonté, veuve sans enfants d’un colonel du Premier Empire, était Orléaniste et je vois encore, grande lithographie en large cadre d’or, la bataille de Valmy, avec le duc de Chartres (alias Louis Philippe I) en houzard, par Horace Vernet, si n’erre ma mémoire, dans son salon du rez-de-chaussée, tout velours d’Utrecht et boiseries blanches...
Ma tante mourut dans mes bras, ainsi, peu après qu’une autre soeur de mon père, demeurant dans un hameau tout proche et je n’eus dès lors plus occasion de revoir ce beau pays ».
Paul VERLAINE